Pourquoi aime-t-on regarder des boutons se faire percer ?

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Pourquoi aime-t-on regarder des boutons se faire percer ?

dossier Sur YouTube et Instagram, des millions de personnes prennent du plaisir à visionner des vidéos d'extraction de points noirs filmées en gros plans. Mais pourquoi aime-t-on regarder des boutons se faire percer ?

Il suffit de parcourir la chaîne YouTube ou le compte Instagram de Sandra Lee, alias Dr Pimple Popper, pour prendre la mesure de l’ampleur du phénomène : sur Internet, les gens adorent regarder des vidéos d’extractions de kystes, points noirs, abcès et autres boutons d’acné. Avec plusieurs millions d’abonnés et son propre show télévisé, la dermatologue Sandra Lee cartonne. Ses vidéos ont été visionnées plusieurs milliards de fois.

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Entre dégoût et plaisir

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Que vous le compreniez ou non, c’est un fait : les popaholics – mot valise qui associe pop (bouton) et alcoholic – aiment voir des boutons éclater en gros plans. Et à quelques « beurk » délicieusement offusqués se mêle la jouissance de voir une chair vidée de sa substance indésirable.

Mais le sentiment de satisfaction ne s’arrête pas à l’éruption du bouton, le summum du plaisir étant de pouvoir également admirer le corps étranger tout juste extrait déposé délicatement sur le gant de son extracteur... De la même manière qu’on se sent comblé par la vue d’un coton-tige ou d’un mouchoir bien garni. La satisfaction de se dire que cette chose dégoûtante n’est plus dans notre corps, peut-être ?

"Et sous le regard dégoûté mais soulagé du patient, flanquer tout ça à la poubelle."

Cette notion de soulagement, en reprenant le contrôle de notre peau, est décrite dans un post instagram du médiatique médecin et écrivain français Baptiste Beaulieu : « Comme je les aime les furoncles ! Comme je les aime les bouchons de cérumen ! Et les échardes ! Et la constipation ! Et tous les corps étrangers ! (...) Je les aime parce qu’ils procurent chez le patient une satisfaction immédiate, visible, palpable. (...) Ce dont je vous parle c’est de cet instant précis, là, oui, quand la personne soupire de soulagement. (...) Et sous le regard dégoûté mais soulagé du patient, flanquer tout ça à la poubelle ».

« J’ai toujours eu un faible pour les boutons, les points noirs et autres petits trucs que tu peux squeezer. C'est inexplicable, mais j'aime ça, voir un bouton blanc exploser ! », avoue aussi dans un article consacré la blogueuse Steph Von Rob. L’être humain est donc ainsi constitué qu’il peut être attiré par des choses qui devraient le dégoûter a priori.

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Épouillage et dopamine

Comme lors d’une activité relaxante ou d’un shoot de drogue, notre cerveau sécrète de la dopamine lorsqu'il voit un point noir éclater. La dopamine est la « molécule du plaisir » qui active le circuit de la récompense. Après la dopamine, vient l’adrénaline, et nombreux sont les popaholics à décrire cette montée hormonale, au moment où le contenu du bouton gicle hors de la peau.

Instinct d'épouillage

Derrière cette attirance aussi étrange que banale, plusieurs hypothèses ont été avancées. Sociologie, psychologie, sémiotique, ethnologie... chaque discipline émet ses interprétations, souvent multiples : connotation sexuelle évidente, troubles pathologiques comme la dermatillomanie (trouble obsessionnel compulsif qui consiste à se triturer la peau ou à se gratter de manière excessive), trypophobie (phobie des trous), forme d’automutilation qui serait l’expression d’un mal-être, projections inconscientes sur l’identité de l’individu, réminiscence du fameux stade anal freudien, quand, enfant, nous étions satisfaits d’offrir nos excréments à nos parents...

"Les « femelles humaines » adorent presser les points noirs et les boutons de leur tribu."

Une des explications privilégiées, car sans doute communément admise par tous, est que ce plaisir serait lié à notre passé d’épouilleurs : traquer les parasites sur soi et ses congénères était un rituel qui incombait (et incombe encore) aux femmes pour permettre la survie de l’espèce. Et c’est d’ailleurs exactement ce que nous faisons lors de nos vérifications contemporaines anti-tiques au retour d’une promenade en forêt ou anti-poux lorsque les enfants rentrent de l'école.

Un comportement « normal »

Dans une émission de Radio Canada, Ghassan El-Baalbaki, psychologue, explique que malgré l’absence d’études scientifiques dans sa discipline sur le phénomène, l’hypothèse évolutionniste peut effectivement être avancée : « Ce besoin irrépressible de retirer des corps étrangers quand on voit une bosse, un bouton ou n’importe quoi est un comportement normal, qui a toujours été présent. On le voit chez les primates avec le grooming (l’épouillage, Ndlr). Le cerveau l’appréhende comme un potentiel parasite. L’enlever va engendrer un soulagement. (...) La sensation de dégoût est aussi une caractéristique de l’instinct de survie. Puisque le dégoût nous éloigne de ce qui peut être nocif. Qu’on ressente du dégoût, du plaisir, ou les deux en même temps, on a en commun de vouloir évacuer et se débarrasser de ce corps étranger ».

L'envie et le plaisir de percer des boutons seraient donc un héritage de ces rituels qui ancrent notre appartenance au groupe. Cette théorie est très bien résumée par l’ethnologue Claude Maïka Degrèse dans son ouvrage L’Animal que vous serez demain : « J’ai repéré que la chasse aux points noirs, boutons et poils a supplanté celle aux poux dans nos épouillages affectueux modernes. Les « femelles humaines » adorent presser les points noirs et les boutons de leur tribu. D’ailleurs, les victimes se laissent faire, éprouvant à cette occasion de la cohésion familiale ou amicale ! ».

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Le cas des vidéos d’extraction de boutons et points noirs

Annabelle Mooney, chercheuse en sémiotique, a publié fin 2020 une étude sur ces vidéos de « Pimple popping ». Dans les commentaires sous les vidéos étudiées, la chercheuse remarque des interjections comme « Yeah !!! » qui viennent signaler l’accomplissement et le plaisir du spectateur. Selon Mooney, nous avons la même attitude ambivalente envers les sécrétions sexuelles : nous pouvons à la fois être excités et dégoûtés.

Une distance rassurante

La chercheuse note aussi l’influence de l’effet gros plan : la proximité de la caméra crée une distance esthétique. La peau n’est plus vraiment un organe mais une surface presque terrestre... ou lunaire. D’ailleurs, en visionnant ce type de vidéo où le « patient » est hors cadrage, on ne peut s’empêcher de se demander à qui appartient cet énorme abcès. On s’amuse à un jeu de devinettes : de quelle zone du corps peut-il s’agir, quel âge à la personne, homme ou femme ? Mais comment peut-on vivre autant de temps avec une boule pareille derrière l’oreille ! Conclut-on aussi fasciné qu’écœuré. On rejoint alors une autre hypothèse : ces vidéos nous permettraient de nous rassurer, en nous donnant le sentiment d’avoir le contrôle. On a bien quelques points noirs ou boutons de temps en temps, mais on est à des années-lumière de la bosse dans le dos...

Vidéos « satisfaisantes »

Par ailleurs, Annabelle Mooney remarque des rituels de visionnage : les amateurs ont leur petite routine, ils regardent souvent ces vidéos au lit, juste avant de s’endormir. D’ailleurs, les titres de nombreuses vidéos de pimple popping énoncent l’objectif de manière claire : « satisfyingrelaxingpoppingvideo ». Façon AMSR, ou comme ces « vidéos satisfaisantes » qui s’affichent sur nos réseaux sociaux et dans lesquelles on peut voir une personne couper un morceau de mousse ou une machine presser lentement des objets.

Une histoire de neurones miroirs

Mais que se passe-t-il exactement dans le cerveau lorsqu’on ressent du plaisir en regardant ce type de vidéo ? C’est là qu’interviennent les fameux neurones miroirs. Selon Ghassan El-Baalbaki : « Ce sont des neurones qui fonctionnent et qui s’activent de la même manière que quand nous sommes en train de faire l’activité nous-même, juste en observant quelqu’un faire l’action ou même en l’imaginant. Je vais avoir les mêmes activations dans mon cerveau des neurones miroirs et je ressentirai la même chose que si je me débarrassais de ces lésions cutanées moi-même, tout en étant finalement protégé ».

Puisque – et il peut sembler utile de le rappeler – percer soi-même un bouton d’acné peut causer plus de dégâts que régler de problèmes. Au moins, en faisant la peau aux chtars par procuration devant Dr. Pimple Popper, on ne risque pas bien gros. Un petit point noir avant de dormir ?

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auteur : Amélie Micoud - journaliste santé

Dernière mise à jour: février 2024
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