Témoignage : 'Je n'ai pas mal vécu ma césarienne d'urgence'

Getty_keizersnede_2023.jpg

dossier Justine*, 43 ans et maman de deux enfants, a donné naissance à son premier bébé par césarienne. Ça n'était pas prévu, et elle ne s'était pas préparée à ce scénario. Pourtant, malgré un contexte anxiogène et un post-partum difficile, elle n'a pas mal vécu cette césarienne d'urgence. Elle a eu envie de raconter, comme pour dire aux femmes qu'une césarienne, même en urgence, peut être vécue autrement que comme un échec ou un traumatisme. "Avant d'avoir mon premier enfant, je n'ai jamais pensé à la césarienne comme un scénario possible d'accouchement. Ma mère avait eu 3 enfants par voie basse, dont le dernier pesait 4,6 kg. Mes tantes et grands-mères n'ont jamais eu de césarienne. Dans ma tête, chez nous, ça passait "comme une lettre à la poste". Et donc, comme mes aînées, je mettrais mon bébé au monde par les voies naturelles.

Quand mon fils est arrivé, tout ne s'est pas déroulé comme prévu, même si, finalement, je n'avais pas prévu grand chose, si ce n'est que j'accoucherai comme ma mère. De ça, j'en étais persuadée. Mais mon bébé avait déjà décidé de déjouer mes plans de maternité idéale: son petit cœur décélérait pendant les contractions, et son rythme cardiaque avait du mal à remonter à chaque fois. À un moment donné, les choses se sont emballées, mon fils était en souffrance aiguë et une césarienne a été décidée en urgence.

Le début de l'intervention ne s'est pas passé dans les meilleures conditions. Il était 4 h du matin, j'étais épuisée par un travail ultra-douloureux qui ne m'avait laissé aucun répit, et je me trouvais dans un état second. Mais surtout, je sentais toute la tension présente dans l'équipe médicale. Ils parlaient peu et allaient vite. On était dans une situation d'urgence réelle, palpable. On m'a installée en m'attachant les bras, tel Jésus sur sa croix, et je me souviens avoir senti le début de l'incision. J'ai crié "je sens tout, je sens tout !" Je me souviens avoir entendu l'anesthésiste marmonner un truc, puis je n'ai plus rien senti. Je me souviens avoir commencé à ressentir de la peur, mais une sage-femme sortie de nulle part s'est mise au niveau de mon visage et a plongé ses yeux dans les miens. Elle me parlait, on aurait dit qu'elle essayait de m'hypnotiser, donc impossible de me souvenir de ce qu'elle m'a raconté. Je me souviens juste que seuls ses yeux comptaient à cet instant précis, et je m'y raccrochais comme à une bouée après un naufrage.

Quelques secondes plus tard, mon bébé était né. Ma première question a été de savoir s'il allait bien. Je n'ai pas pu le voir tout de suite, le pédiatre l'a emmené pour s'assurer que tout allait bien. Mon fils a mis un peu de temps pour pousser son premier cri, quelle angoisse! Après de longues minutes on me montrait son petit visage, enfin. S'en est suivi un peau à peau avec papa, pendant qu'on me recousait. Ce moment m'a paru interminable, j'avais envie qu'on en finisse, que je puisse prendre mon bébé sur moi et qu'on nous laisse un peu tranquilles. Mais je savais que tout allait bien, et j'étais tellement dans les vapes que la notion du temps commençait à être floue. J'avais envie de dormir.

Les jours d'après n'ont pas été faciles, je dirais même que j'ai très mal vécu mon post-partum à l'hôpital, en chambre double. Tout mon corps me faisait souffrir, j'avais l'impression d'être passée sous un train, mais je n'avais droit à aucune convalescence: je devais m'occuper à plein temps d'un nouveau-né. J'ai dû rester alitée les premières 48 heures avec des bas de contention et un drain pour évacuer l'urine. Je saignais énormément, et me lever les premières fois me donnait le sentiment qu'on m'ouvrait en deux sans anesthésie. Finalement, je suis sortie le 5e jour, en "marchant" comme je pouvais.

Mais malgré tout ça, je n'ai pas mal vécu ma césarienne d'urgence. Je ne pourrais pas dire que je l'ai bien vécue non plus, j'ai le sentiment que ça n'est pas vraiment possible de "bien vivre" une césarienne lorsqu'on ne s'y attend pas et qu'on n'a même pas le temps de comprendre ce qui se passe. Mais quand je lis ou entends les témoignages de femmes qui ont eu une très mauvaise expérience de leur césarienne, je ne me reconnais pas vraiment dans leurs mots. "Échec", "traumatisme", "peur d'accoucher de nouveau"... Dans les cas les plus extrêmes, certaines ont un véritable stress post traumatique qui finit par occulter tout le reste: la joie d'être mère, d'accueillir son bébé en bonne santé. Une césarienne mal vécue peut avoir un impact sur le post-partum, jusqu'à la dépression. Certaines sont terrorisées à l'idée que l'événement puisse se reproduire, et vont parfois jusqu'à appréhender une nouvelle grossesse.

Pourtant, la césarienne n'a pas été facile pour moi aussi. Et à vrai dire, je ne sais finalement pas tellement pourquoi je n'ai pas si mal vécu la mienne. Dans ce que je lis sur les réseaux sociaux, et ce que j'entends autour de moi, les césariennes programmées sont bien mieux vécues, pour des raisons qu'on comprend aisément. Alors certes, personne ne m'a dit que je devais forcément ne pas me remettre psychologiquement de cette césarienne et en être traumatisée, mais il m'est arrivé de me demander s'il était normal que je ne sois pas aussi affectée que ces femmes par mon accouchement. Est-ce que je n'avais pas refoulé le traumatisme de cette césarienne qui allait me péter à la figure bien plus tard? "C'est bizarre, moi ça va" ai-je pensé de nombreuses fois.

Mais la joie d'avoir mon bébé avec moi, en vie, a fait pencher la balance vers un "ma césarienne, c'est pas très grave". Au final, l'intervention est tout de suite passée au second plan. Si effectivement j'avais le sentiment de n'avoir pas "réussi" à accoucher par voie basse, je n'ai pas vu la césarienne comme un échec. Un échec de quoi en fait? L'accouchement n'est pas un examen qu'on doit réussir! Certes, ça n'était pas l'accouchement de rêve pour moi, mais je ne ressentais ni sentiment d'échec, ni tristesse. J'avais juste peur de ne jamais connaître les sensations d'un accouchement par les voies naturelles. Le seul sentiment négatif que j'avais était une déception par rapport à quelque chose dont j'étais très curieuse, mais c'est tout.

Je ne pense pas avoir nié cette césarienne pour autant, ni avoir refoulé quoique ce soit. J'ai fait le récit de mon accouchement par écrit, j'ai pu lire mon rapport d'accouchement une fois de retour à la maison (la sage-femme me l'avait proposé), et j'ai pu comprendre à peu près ce qui s'était passé. Je me souviens avoir fortement eu cette envie-là: comprendre. Mais au final, une part de moi a dû penser que j'avais bien fait de me rendre à la maternité dès les premières contractions. Bien sûr, je ne saurais jamais comment ça se serait passé si j'avais accouché à la maison. Mon bébé ne serait peut-être pas mort, contrairement à ce que certains ont essayé de me faire croire (sans doute parce qu'ils le croyaient eux-mêmes), mais il est impossible d'être affirmatif dans un sens comme dans l'autre. On ne sait pas comment se seraient passées les choses si j'avais attendu davantage en restant à la maison. Mais j'aime à penser que, si j'ai eu cette forte intuition de me rendre à la maternité à ce moment précis, alors que j'étais toute seule (mon compagnon était encore sur la route), c'est que quelque part, j'ai su qu'il le fallait.

Ma césarienne n'est donc pas et n'a jamais été un échec. Elle a été ce qui, à ce moment-là, dans ce contexte-là, a sauvé la vie de mon bébé. Ils auraient pu m'ouvrir en quatre s'il l'avait fallu, je m'en foutais. Je me souviens que, dans l'urgence, j'avais dit à l'équipe médicale "Faites ce que vous voulez, du moment que mon bébé va bien". Et peut-être que tout est là en réalité: j'ai toujours vu l'accouchement comme un moyen, non comme une fin en soi. Alors certes, j'ai peut-être la chance de ne pas avoir été maltraitée lors de ce premier accouchement. Je n'ai pas spécialement été ménagée non plus - à part ce moment où cette mystérieuse sage-femme m'a parlé les yeux dans les yeux - mais je n'en garde pas un souvenir traumatique. Mon compagnon a pu être près de moi pendant l'intervention, et je me suis sentie, malgré le stress de l'urgence, respectée. Et ça, peut-être que ça change tout.

*Le prénom a été modifié

auteur : Amélie Micoud - journaliste santé

Dernière mise à jour: juin 2023
Vous voulez recevoir nos articles dans votre boîte e-mail ?

Inscrivez-vous ici à notre newsletter.

vous pourrez vous désinscrire quand vous le souhaiterez
Nous traitons vos données personnelles conformément à la politique de confidentialité de Roularta Media Group NV.
volgopfacebook

volgopinstagram