Témoignage | "J'avais besoin d'allaiter mon bébé pour sentir que j'étais sa mère... mais je n'y arrivais pas"

dossier Albane est maman de deux petites filles. L'allaitement a été pour elle un véritable enjeu dans son devenir mère, au point d'avoir le sentiment de ne pas réussir à allaiter, et d'avoir, encore aujourd'hui, des regrets. Son histoire montre que l'allaitement n'est pas évident pour tout le monde, au-delà des questions purement techniques. Le psychisme joue un rôle certain dans ce rapport à l'enfant, nourricier d'abord, affectif ensuite. C'est ce que raconte Albane ici, à travers le récit de ses deux allaitements.  "Je m'étais toujours dit, plus jeune, que je n'allaiterais pas. Je n'avais pas une bonne image de l'allaitement, c'est quelque chose qui me dégoûtait presque. Ma mère n'avait pas réussi à nous allaiter, ni moi ni ma sœur. Selon elle, elle n'avait pas eu assez de lait, et sa propre mère aussi. J'étais imprégnée de ce discours là. Mais du coup, les femmes autour de moi n'ayant peu ou pas allaité, je n'avais aucune pression extérieure! Quand j'ai commencé à sentir mon bébé dans mon ventre, l'envie est venue. Je ne m'étais pas mis la pression, me disant que si ça ne marchait pas, ça n'était pas grave. Mais ma fille est née, et j'ai galéré tout de suite. Je n'arrivais pas à la mettre au sein, à trouver la bonne position... Plus je me rendais compte que c'était difficile, plus ça devenait hyper important pour moi. Je n'arrivais pas à le formuler, mais c'était devenu vital. Le fait que j'étais angoissée a sûrement joué sur la lactation.

Allaiter pour se sentir mère

J'avais besoin de réussir à allaiter pour me sentir la mère de mon bébé. Sinon, j'avais l'impression d'être renvoyée au statut de n'importe quelle femme. Le reste, donner un bain, la câliner, tout le monde pouvait le faire! Mais donner le sein, ça c'était le truc qui me faisait être SA mère. Et si je ne pouvais pas lui donner ça, j'avais l'impression d'être renvoyée à une femme parmi les autres. Je me suis battue, tire-lait, compléments donnés à la seringue, etc. J'en pleurais, et ça devenait n'importe quoi. Ma fille avait faim, elle ne mangeait pas assez, et je ne me rendais pas compte. J'ai pu lâcher quand j'ai senti qu'il y avait une interaction réelle entre ma fille et moi, quand elle est sortie du nouveau-né. À partir du moment où elle me regardait, me souriait... qu'elle me reconnaissait en fait. Même si le jour où je lui ai donné le biberon pour la première fois, ça a été dur.

Deuxième tentative

Enceinte de ma deuxième fille, j'étais persuadée que ça ne partirait pas de la même façon. Je me disais que j'étais déjà mère, et puis j'avais les bons réflexes. Elle a pris le sein tout de suite, les sages-femmes à la maternité me rassuraient, tout semblait rouler! On est rentrées à la maison, mais la fameuse montée de lait tant attendue n'arrivait pas, exactement comme pour mon aînée. On est allés à l'ONE, une catastrophe. Les dames ont voulu bien faire, elles s'étaient tout de suite voulues très rassurantes, mais du coup on me laissait à peine parler, on me coupait la parole. J'ai fini par éclater en sanglots:"Mais laissez-moi parler!!!". Au fond de moi, je sentais que ça partait mal, à nouveau. C'était pourtant pas faute d'avoir tout mis en place pour me reposer, avec très peu de visites les premiers jours.
"Faut savoir ce que vous voulez"
J'ai alors décidé de voir une conseillère en lactation, chaudement recommandée par ma sage-femme en qui j'avais toute confiance. Mais ça ne s'est pas bien passé. La conseillère a regardé mon bébé, ses freins, etc. Elle a confirmé l'absence de montée de lait et m'a recommandé de tirer mon lait toutes les 4 h en plus des tétées. Fébrile, je lui explique que j'ai déjà fait ça pour ma première, et je me mets à pleurer. J'ai fait tout ce qu'on m'a dit comme une bonne élève, j'ai suivi le truc à la lettre! Elle me répète qu'il me faut me reposer. Mais nous n'avons pas de famille sur place, mon mari va reprendre le boulot dans quelques jours et côté sommeil c'est compliqué. "Faut savoir ce que vous voulez, faut se donner les moyens!": me répétait la conseillère. Avec le recul, je me dis que la situation était complexe, et que c'était une sage-femme, pas une psychanalyste. Elle n'avait juste pas la formation pour accueillir quelque chose qui était de l'ordre de la vie psychique.

Le sein des autres

Je suis ressortie en pleurs, effondrée.  Je voulais tout arrêter. J'ai appelé mon mari qui m'a dit prendre son samedi pour s'occuper de ma grande, si je voulais quand même tirer mon lait pendant quelques jours, comme recommandé. Le soir même, en me couchant, je me suis mise à pleurer de manière incontrôlable. Je ne voulais plus arrêter l'allaitement. Finalement, même en étant déjà mère, ça n'était pas si simple que ça de me sentir mère pour ma deuxième fille aussi. J'avais besoin de l'allaitement, non pour sentir qu'elle était ma fille - ça je le savais bien -, mais pour sentir que j'étais sa mère. Je suis donc repartie dans le cycle du tire-lait, avec des jours de soulagement: quelque chose sortait, et des jours où rien ne semblait fonctionner. Je me suis acharnée, mais malgré ça, je n'ai jamais réussi à allaiter mes bébés entièrement. On me disait que c'était déjà bien d'avoir pu leur donner un peu de mon lait, mais ça n'était pas suffisant pour moi. Je n'ai jamais vu mes bébés repus par les tétées. Un jour, lors d'une séance de rééducation post-natale collective, une maman allaitait son bébé, et j'ai entendu le bruit que fait un bébé qui déglutit goulûment. Je n'avais jamais entendu mes bébés faire ça! Finalement, ma deuxième a dégluti de cette manière une seule fois, plus tard, mais ce jour-là, j'ai retenu mes larmes, et mon bébé a hurlé pendant que j'essayais de faire les exercices. Nous avons tenu comme ça jusqu'à ses deux mois, et j'ai lâché doucement... Sous les conseils de ma sage-femme, j'ai fini par faire les tétées plaisir qui ont correspondu au moment où j'ai commencé à avoir des interactions avec ma fille. La dernière semaine, je l'ai fait encore 2-3 fois le matin et puis j'ai arrêté. C'était devenu aussi moins nécessaire pour moi.

Aucune pression... sauf la mienne

Je n'ai subi aucune pression de mon entourage, au contraire. Tout le monde me disait que ça n'était pas grave, et les gens m'encourageaient en me disant que je donnais de mon lait au moins un peu, et que c'était déjà bien. Je n'étais prise dans aucun diktat, alors que, pourtant, je m'étais préparée à prendre de la distance avec ce discours de "il faut". Au final, ce "il faut" venait de moi-même, pas des autres. La pression que je m'étais mise était personnelle et intime. Mais malgré les mots rassurants de l'entourage, j'avais toujours un peu honte de ne pas y arriver. J'avais l'impression d'être à côté de la plaque. Mon mari me rassurait pourtant, me disant que je savais très bien m'occuper de mon bébé (je ne m'en rendais même pas compte!), mais seul l'allaitement me donnait le sentiment que j'étais à ma place de mère.

Regrets

Je me suis sentie très seule dans tout ça. Je lisais consciencieusement les documents de la Leche League, mais je n'y trouvais pas les réponses à mes questions. Parce qu'en fait ça n'était pas là que je pouvais les trouver, pas plus que chez la sage-femme. Je tournais toutes les hypothèses dans ma tête: j'avais eu des gros bébés à la naissance, on me répétait "gros bébés gros besoins", peut-être que c'était ça et que je n'y étais pour rien du coup? Je ne peux pas dire que j'ai été mal conseillée, c'est plus de l'ordre de mon vécu, de mon psychisme. Aujourd'hui je suis plus sereine, mais je dois avouer que quand je vois des femmes allaiter, je garde ce petit truc de "j'aurais bien aimé connaitre ça..." J'ai un sentiment de regret, le fait de ne pas avoir connu ce que j'ai pu voir et entendre autour de moi: des femmes satisfaire leur bébé. Plus mes filles grandissent, moins j'y pense, mais ça reste sensible. Un de mes regrets: ne pas être allée chez ma psy les premiers jours, alors qu'elle m'avait dit que je pouvais venir avec mon bébé. Un petit troisième? Peut-être que l'enjeu d'être sa mère se poserait encore une fois... Difficile de prévoir!" Suivez Minimi sur Instagram Lire aussi: Témoignage | « J'ai fait une grave dépression post-partum » Témoignage | Le syndrome du ventre vide, « cette sensation de vide, immense, implacable » La rencontre | Cécile, 34 ans, a fait un don d'ovocytes    

   

auteur : Amélie Micoud - journaliste santé

Dernière mise à jour: février 2021

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