Pourquoi l’urine et la sueur n’ont pas la même odeur pour tout le monde ?

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Pourquoi l’urine et la sueur n’ont pas la même odeur pour tout le monde ?

dossier On estime que six personnes sur dix perçoivent l'odeur de l’urine, alors que 10% sentent une odeur douce ou vanillée, et les autres ne la sentent pas ou peu. Même constat pour la sueur. Comment l'expliquer ?

L’ADN renferme notre patrimoine génétique et gouverne la mise en place de l’embryon et son développement. En étant copié maintes fois, à chaque division cellulaire, il peut subir des mutations qui, si elles affectent les ovules et les spermatozoïdes, seront transmises à la descendance. Dans nos cellules, les gènes existent sous deux formes – deux « allèles » – qui dérivent l’un de l’autre par une ou plusieurs mutations. Selon l’allèle exprimé, il en résultera ce qu’on appelle un phénotype, par exemple la couleur des yeux, des cheveux, ou encore l’olfaction, notre capacité à percevoir et sentir les odeurs.

Des chercheurs ont ainsi montré une relation entre le gène codant le récepteur OR7D4 – l’un des 400 récepteurs olfactifs présents chez l’homme – et la détection de l’androsténone : cette molécule, qui fait partie de la phéromone de porc, sent l’urine, mais on la retrouve aussi dans la sueur humaine. Ce gène existe sous la forme de deux allèles, RT et WM. Les personnes qui portent les deux copies du gène RT – soit 62% de la population étudiée – perçoivent le parfum de l’urine, celles qui ne portent qu’une copie de ce gène ne la sentent pas ou peu, et enfin les porteurs de deux copies de l’allèle WM – 10% de la population étudiée – perçoivent une odeur douce ou vanillée à la place de l’odeur de l’urine.

Dans le cadre de nos recherches sur l’olfaction au laboratoire UGSF (université de Lille/CNRS/INRA), nous avons voulu montrer au grand public les conséquences de notre diversité génétique, en proposant depuis l’année dernière un petit test très simple.

L’alcool, une odeur très bien identifiée

Le principe est le suivant : nous présentons aux participants deux flacons à sentir contenant un liquide incolore – numérotés 1 et 2. Dans le premier flacon (témoin), nous plaçons de l’alcool pur (éthanol), et dans le second une solution à base d’alcool d’androsténone très diluée.

Les personnes tentent alors de formuler, avec leurs mots, ce que l’odeur leur évoque, au-delà de la perception agréable, désagréable ou neutre qu’elles peuvent ressentir en la humant. Ils remplissent également un questionnaire papier, anonyme, qui ne mentionne que l’âge et le sexe.

L’an dernier, 217 femmes de 6 à 69 ans et 172 hommes de 5 à 67 ans ont participé à ce test. Les résultats ont été classés par tranche d’âge et par sexe pour identifier un éventuel effet des hormones sur la perception de l’odeur.

La distinction par classe d’âge permet également de mettre en évidence la manière de nommer l’odeur, qu’il s’agisse de l’éthanol ou de l’androsténone. On connaît le pouvoir évocateur des odeurs (la madeleine de Proust), mais il n’est pas toujours facile de les nommer. Certains de nos « cobayes » ont utilisé des images olfactives intéressantes.

Face au liquide témoin, rares sont les participants qui n’identifient pas l’alcool, qu’ils décrivent toutefois en des termes plus ou moins précis et imagés : antiseptique, gel pour les mains, désinfectant, docteur, hôpital, labo, mais aussi vodka, bière, et pour beaucoup alcool, voire même éthanol. Seules 15 personnes ne perçoivent aucun parfum lorsqu’elles sont confrontées à l’éthanol pur. Parmi elles, 4 femmes, et toutes perçoivent pourtant l’androsténone très fortement : on ne peut donc pas les soupçonner d’anosmie – absence totale d’olfaction, phénomène qui concerne environ 10% des Français et 3% de notre population étudiée.

Du rôle des hormones ?

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Concentrons-nous maintenant sur les réponses obtenues pour la solution alcoolique d’androsténone. Les réponses sont pour le moins contrastées : certains déclarent « je ne sens rien » – ils possèdent sans doute un allèle RT et un allèle WM. D’autres qualifient son odeur d’« horrible ! » – ceux qui ont deux allèles RT. Mais elle évoque à certains des idées plus poétiques, comme la forêt, la fleur, l’herbe naturelle, le maïs, le concombre, la vanille, la menthe, le carton, ou encore la poussière – ces derniers sont probablement porteurs de deux allèles WM.

Parmi ceux qui perçoivent l’androsténone, 9 femmes et 11 hommes ont été capables de nommer clairement l’odeur comme celle de « l’urine, de la sueur » (transpiration, odeur d’aisselle) ou de l’« odeur animale » (masculin, bestial, mâle qui pue, musc). Ils ont une réaction instinctive de recul devant une odeur « insupportable, âcre, répulsive, dégoûtante, repoussante ». Cette graduation de la perception négative de l’androsténone suggère que d’autres gènes pourraient être impliqués, mais ils ne sont pas encore identifiés.

Nous avons ensuite classé les réponses des participants ayant senti le flacon contenant de l’androsténone en quatre catégories : « rien », « pas bon », « bon » et « alcool ». Les résultats montrent de très grandes différences entre les femmes et les hommes : près de la moitié des premières (44,2%) a exprimé une sensation négative, tandis que les seconds sont autant à percevoir le parfum comme « pas bon » (38,8%) qu’à y identifier la senteur de l’« alcool » (39,5%).

Les hommes détecteraient donc moins l’androsténone que les femmes. On est tenté d’assimiler cette grande différence à l’apparition de la testostérone à la puberté chez les garçons. Les réponses apportées par les plus jeunes – entre 5 et 16 ans – semblent confirmer cette hypothèse : jusqu’à 16 ans, les garçons présentent les mêmes scores que les filles, autour de 45% de « pas bon » et 30% de « alcool ». Le score s’inverse chez les garçons à partir de 17 ans, alors que les réponses des filles restent identiques.

L’androsténone dans la viande de porc

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Au-delà de ce test ludique, la perception de cette molécule présente un intérêt pour l’alimentation humaine : la viande de porc est en effet imprégnée de phéromone lorsque l’animal n’est pas castré. Si celle proposée au consommateur provient aujourd’hui de bêtes stérilisées, cette méthode apparaît de plus en plus contestée pour des questions de bien-être animal.

Il s’agit donc pour les éleveurs de déterminer, chez le consommateur, le seuil d’acceptabilité de l’odeur de la viande de porc non castré. Une étude montre que pour une quantité de 2-3 microgrammes de gras liquide par gramme de viande, 1 personne sur 3 ne sent rien, une personne sur 5 la trouve agréable et la moitié la juge désagréable. À tel point qu’elle empêche certaines personnes de consommer le produit. Supprimer la castration des porcs destinés à l’alimentation constitue donc un vrai défi.

L’objectif de l’atelier était de démontrer que nous sommes tous différents face à une odeur, que cela résulte d’un fond génétique différent, mais qu’il n’y a pas d’échelle de valeurs : est-il sensé de considérer que celui qui perçoit est meilleur que celui qui ne perçoit pas ? Dans ce cas précis, il est bien sûr très facile de répondre non, mais cela donne matière à réfléchir sur la richesse que constitue la diversité humaine.The Conversation

Patricia Nagnan-Le Meillour, directrice de recherche, écologie chimique, olfaction, phéromones, Inra.

► Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.



Dernière mise à jour: janvier 2020
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