Aliments ultra-transformés : c'est quoi et quels effets sur la santé ?

dossier Un nombre croissant d’études pointent les effets néfastes sur la santé de la consommation d’aliments ultra-transformés. Mais sauriez-vous les reconnaître dans les rayons des supermarchés et de quels risques parle-t-on ?

Depuis la domestication du feu, survenue voici plus d’un million d’années, qui a permis la cuisson des aliments, l’humanité a vécu trois autres transitions nutritionnelles majeures.

La première s’est produite voici environ 12.000 ans, quand nos ancêtres chasseurs-cueilleurs sont devenus agriculteurs-éleveurs, marquant le passage du Paléolithique au Néolithique. L’être humain s’est alors mis à consommer de façon plus massive céréales, produits laitiers et viandes d’élevage.

La seconde transition correspond à la production des premiers aliments industriels, au 18ème siècle, après l’invention de la machine à vapeur en Angleterre. Suite à la mise au point de l’appertisation, en 1795, la conserve en devient l’emblème.

Enfin, la troisième transition nutritionnelle a eu lieu dans les années 1980, avec le passage des aliments industriels aux aliments ultra-transformés. Cette étape traduit une artificialisation croissante de notre alimentation : les aliments contiennent de plus en plus d’ingrédients ou d’additifs artificiels.

Cette dernière transition est concomitante de l’explosion des prévalences de maladies chroniques et la stagnation – voire parfois la baisse – de l’espérance de vie en bonne santé (qui est aujourd’hui, en moyenne, de 63 ans en France).

Un décès sur cinq dans le monde est dû à une mauvaise alimentation

Les chercheurs sont en train d’essayer de déterminer les causes de cette stagnation de l’espérance de vie en bonne santé. Plusieurs facteurs sont probablement impliqués : pollution, modes de vie de plus en plus sédentaires, mais une alimentation déséquilibrée reste le facteur principal de nos maladies chroniques ainsi que de l’augmentation de la mortalité précoce. Ainsi un décès sur cinq dans le monde est lié à une mauvaise alimentation, et deux décès précoces sur trois sont liés à une maladie chronique non transmissible (diabète, maladies cardiovasculaires, cancers…).

Si les trois premières transitions nutritionnelles ont accompagné l’évolution de l’humanité en mettant la technologie au service de l’aliment, la dernière reflète davantage une technologie au service du profit : l’humain n’est plus au centre et l’aliment doit s’adapter aux contraintes de temps et de rentabilité. À force de produire toujours à des coûts toujours plus bas nous avons créé de plus en plus d’aliments artificialisés

En outre, l’obsession, compréhensible et nécessaire, de la sécurité sanitaire des aliments a donné naissance à des aliments sains sur un plan sanitaire mais au détriment de la qualité nutritionnelle : nous avons substitué aux maladies infectieuses les maladies chroniques.

Qu’est-ce qu’un aliment ultratransformé ?

La recherche d’une « bonne » classification est une des activités maîtresses de la recherche. Nous avons classé les animaux, les végétaux, les minéraux, les planètes, les atomes… Et nous classons aussi les aliments. Jusqu’à très récemment, deux types de classements étaient utilisés. Schématiquement, les aliments étaient regroupés, soit selon leur nature, soit selon leur teneur en un nutriment donné.

Dans le premier cas, par exemple, les produits végétaux étaient classés en céréales, légumineuses, fruits à coque ou graines oléagineuses, fruits et légumes les produits animaux en viandes rouges et blanches, œufs, produits laitiers, fruits de mer, insectes. Dans le second type de classement, on distinguait les produits sources de protéines, les aliments riches en sucre, en sel et/ou gras (types snacks et confiseries, fast foods, desserts lactés, etc.).

Un grand nombre d’études épidémiologiques se sont appuyées sur ces classements pour explorer les liens entre aliments, groupes d’aliments, nutriments isolés et risque de développer diverses maladies chroniques ou dérégulations métaboliques (hyperglycémie, hypercholestérolémie, hypertension, syndrome métabolique…). Ces travaux ont servi de base aux recommandations nutritionnelles par pays édictés depuis les années 1960.

Mais des observations récentes ont remis en question la pertinence de ces classement, plaidant pour la prise en compte du degré de transformation des aliments plutôt que de leurs origines ou teneurs en nutriments.

Le degré de transformation des aliments influe sur la santé

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Au Brésil, en quelques années, le diabète de type 2 et l’obésité ont explosé, chez des personnes de plus en plus jeunes, notamment à partir des années 1990.

Dans les années 2000, en se basant sur les études épidémiologiques et les rapports de l’OMS ou d’autres institutions, des épidémiologistes brésiliens ont observé que le lien entre alimentation et santé avait plus à voir avec le degré de transformation des aliments qu’avec leur composition nutritionnelle.

Leurs observations les ont conduit à s’interroger sur la pertinence de reclasser les aliments selon leur degré de transformation. Après avoir exploré et évalué cinq systèmes de classification internationaux basés sur le degré de transformation des aliments, ils ont proposé une nouvelle classification, la classification NOVA (« nouveau » en portugais). Celle-ci classe les aliments en quatre groupes technologiques, selon le but de la transformation :

  • les aliments pas / peu transformés

  • les ingrédients culinaires extraits de ces aliments ou de la nature (sel, sucre, matières grasses animales et végétales, épices, poivre…)

  • les aliments transformés combinant les deux premiers groupes

  • les aliments ultra-transformés

Selon ces chercheurs, les aliments ultra-transformés sont caractérisés dans leur formulation par « l’ajout d’ingrédients et/ou additifs cosmétiques à usage principalement industriel – et ayant subi un procédé de transformation excessif – pour imiter, exacerber ou restaurer des propriétés sensorielles (arômes, texture, goût et couleur). Il peut aussi s’agir d’un procédé industriel très drastique et pénalisant appliqué directement à l’aliment comme la cuisson-extrusion ou le soufflage ».

Autrement dit, on ajoute des texturants, colorants, exhausteurs de goût et arômes d’usage principalement industriel. Ces substances visent notamment à exacerber la sensorialité de l’aliment : goût, odeur, texture, aspect… Elles peuvent aussi servir à limiter les quantités de « vrais » aliments (ou d’aliments nobles) à intégrer, pour diminuer les coûts. Enfin, les fabricants cherchent parfois à masquer des couleurs et goûts indésirables.

Pourquoi transformer les aliments ?

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L’exacerbation de la sensorialité des aliments est très rentable car l’acte d’achat se fait d’abord par les propriétés sensorielles de l’aliment et son apparence, avant sa qualité santé, qui ne se perçoit que sur le plus long terme. On mange d’abord avec les yeux et les arômes puis avec la texture et le goût : notre aliment aura beau être sain, s’il ne remplit pas de bonnes qualités sensorielles alors nous ne l’achèterons pas.

Les qualités organoleptiques exacerbées des aliments ultra-transformés ont deux conséquences très rentables : on peut continuer à les consommer alors qu’on n’a plus faim (le plaisir l’emporte sur la satiété), et on aura envie de le racheter. Si vous vous y habituez très jeune, alors il est probable que vous deveniez un client à vie de ces aliments. Il est en effet très difficile de revenir aux goûts plus subtils des vrais aliments, qui paraissent fades.

Si les caractéristiques intrinsèques des aliments ultra-transformés favorisent leur consommation, le marketing n’est pas en reste. Ces produits peuvent parfois compter sur des emballages très attractifs et colorés, des promotions, des portions individualisées. Des listes d’ingrédients à rallonge, dont les noms sont inconnus du plus grand nombre, entretiennent aussi une certaine opacité.

Les enfants sont particulièrement ciblés avec les confiseries, les biscuits industriels, les céréales du petit-déjeuner pour enfants, les sodas, les yaourts à boire aromatisés, les snacks sucrés, salés ou gras, les pâtisseries et certains pains industriels, le pain de mie, certaines pâtes fromagères à tartiner… Le tout souvent packagé avec des personnages issus de leurs univers enfantins.

Dans les supermarchés, ces aliments représentent environ 50% de tous les aliments et environ 70% des aliments étiquetés-emballés. Il ne faut toutefois pas imaginer que les aliments ultra-transformés ne concernent que la malbouffe. Certains aliments présentés comme « sains » (tels que les produits allégés, sans gluten, bio, vegan, enrichis en fibres/minéraux/vitamines…) sont aussi ultra-transformés. En magasins bio, ils peuvent constituer jusqu’à 26% du caddie. D’où la difficulté de les identifier.

En France, en moyenne, 36% des calories quotidiennement consommées par un adulte proviennent d’aliments ultra-transformés. Or leurs conséquences néfastes sur la santé sont aujourd’hui bien documentées.

Les aliments ultra-transformés, mauvais pour la santé ?

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Depuis 2010, plus d’une vingtaine d’études utilisant la classification NOVA et le concept d’aliment ultra-transformé ont été réalisées : les résultats montrent qu’une consommation régulière/excessive de ces aliments est associée à des risques accrus de mortalité, surpoids, adiposité, obésité, syndrome métabolique, hypertension, dyslipidémie, maladies cardiovasculaires, cancers totaux et du sein, syndrome de l’intestin irritable et dyspepsie fonctionnelle, et symptômes dépressifs.

Pourquoi ces effets délétères ? La prise calorique accrue qu’entraînent ces aliments (+20 % sur deux semaines selon les travaux de Kevin Hall et ses collaborateurs, notamment en matières grasses et sucres) serait une des raisons. Ces aliments sont moins rassasiants, mais aussi plus hyperglycémiants. Il s’agit de sources de calories « vides » : les aliments ultra-transformés contiennent de faibles teneurs en composés bioactifs protecteurs (fibres, minéraux, vitamines et antioxydants).

En outre, on y trouve des composés artificiels étrangers à l’organisme, dont on sait peu de choses quant à leurs effets sur la santé à long terme. Il peut s’agir de certains additifs (colorants et émulsifiants, entre autres), composés néoformés, arômes artificiels, ingrédients ultra-transformés types sucre inverti, sirop de fructose, protéines isolées/hydrolysées…

Ces études sont pour la plupart observationnelles et recherchent donc des associations ou corrélations entre la qualité du régime alimentaire et le risque de maladies chroniques sur plusieurs années : elles ne permettent pas, bien évidemment, de parler de relation directe de cause à effet. Seules des études dites « d’intervention » permettraient de trancher sur la causalité, mais pour des raisons éthiques évidentes, elles ne pourront pas être mises en place. On ne peut pas envisager de faire consommer à plusieurs milliers de personnes des aliments majoritairement ultra-transformés pendant 10 ans pour observer l’apparition potentielle de maladies chroniques !

Il est en revanche plus éthique de demander à de « gros » consommateurs de réduire leur consommation de tels aliments, et d’observer à court terme (et sur plusieurs années) l’évolution de leur état de santé.

Un concept qui fait débat

Depuis sa première apparition en 2009, le concept d’aliment ultra-transformé est beaucoup débattu. Au nombre des critiques, on lui reproche de rassembler des aliments trop hétérogènes, de ne pas être validé scientifiquement, de confondre procédés et formulation, de rejeter en bloc tous les produits industriels… À ces observations, on peut répondre que la démarche qui a présidé à la définition de ce concept est scientifique : sur la base d’observations, un concept – ou une hypothèse – a été émis puis testé par des études chez l’être humain.

Par ailleurs, si cette catégorie regroupe des aliments très hétérogènes, ces derniers n’en possèdent pas moins des caractéristiques communes. L’hétérogénéité dépend du niveau d’observation adopté, global ou très spécifique. À chaque niveau d’observation ses vérités scientifiques.

En outre, le concept d’aliment ultra-transformé correspond à une réalité, à savoir l’artificialisation à outrance de nos aliments. Les études observationnelles montrent clairement que consommer de grandes quantités de ces aliments est délétère pour la santé. Inversement consommer davantage d’aliments pas / peu ou normalement transformé est protecteur, comme en témoignent de nombreux régimes sur la planète riche en aliments peu transformés : Okinawa, nordique / baltique, méditerranéen…

Enfin, ce concept ne stigmatise en rien tous les aliments industriels mais seulement une fraction d’entre eux. Il existe beaucoup d’aliments industriels de qualité, non ultra-transformés.

Comme toujours en science, d’autres études chez l’être humain seront nécessaires pour tirer des conclusions plus précises. En attendant, le faisceau de présomption est suffisant pour appliquer le « principe de précaution », et conseiller de limiter la consommation de tels aliments.The Conversation

Anthony Fardet, chargé de recherche, Université Clermont Auvergne et Edmond Rock, directeur de recherche, Inra.

► Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.



Dernière mise à jour: septembre 2019
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