Bypass : en direct de la salle d'op

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Bypass : en direct de la salle d'op

dossier Extinction des feux. La salle 7 est plongée dans la pénombre. Cinq trocarts transpercent l’abdomen de la patiente, dilaté par l’injection de CO2.

C’est par le biais de ces tiges cylindriques creuses, dans lesquelles seront glissés les instruments chirurgicaux, que le Dr Arnaud De Roover, attaché au service de chirurgie abdominale du CHU de Liège, va procéder à un bypass gastrique, technique privilégiée pour combattre l’obésité morbide. Son assistante manipule la caméra miniaturisée et le système d’éclairage par fibre optique, insérés dans deux trocarts distincts. Le ventre n’est pas ouvert. Tout se passe par écran interposé.

La dame est allongée sur le dos, les jambes formant un V, afin de dégager davantage d’espace pour que le médecin puisse se positionner sans encombre, en fonction des gestes à pratiquer. Hors mise en place et anesthésie, l’intervention durera une heure trente environ.

Âgée de 53 ans, la patiente présente un excès de poids d’une quarantaine de kilos, ce qui correspond chez elle à un indice de masse corporelle (IMC ou BMI) de 41. C’est beaucoup, évidemment. D’où la nécessité de recourir à la chirurgie, et en l’occurrence au bypass. Pour schématiser, cette approche consiste à découper l’estomac et à créer une petite poche gastrique sur laquelle sera suturée une portion de l’intestin grêle. Du coup, l’estomac est quasi entièrement boycotté, bypassé. Avec des résultats spectaculaires en termes d’amaigrissement.

Première étape : mesurer la partie du début de l’intestin qui servira de conduit dérivatif. Il en faut un mètre. Une ficelle d’une dizaine de centimètres est introduite dans un trocart. En scrutant l’écran, et en s’aidant de pinces, le chirurgien évalue alors pas à pas la bonne longueur (en ajoutant un chouïa, par sécurité), comme le ferait un bricoleur avec un tuyau de plomberie. On coupe et on agrafe. Direction à présent l’estomac.

Tout colle à tout

"L’écarteur à foie, s’il vous plaît", demande Arnaud De Roover. Contrairement à ce que donnent à croire les planches anatomiques, nos organes sont loin, très loin de se présenter sous la forme d’entités bien distinctes, clairement séparées les unes des autres, comme suspendues dans le vide. En fait, tout colle à tout. Dès lors, pour cisailler l’estomac, il faut d’abord faire de la place, bien le dégager.

Une palette, introduite dans l’un des trocarts par un troisième assistant, permet de soulever le foie et de le maintenir de biais. Le moment est délicat. L’estomac doit être scindé avec précision, notamment au cas où une reconstruction serait nécessaire, poursuit le Dr De Roover. Une marche arrière improbable, extrêmement rare, mais que des impératifs médicaux pourraient imposer.

Indispensable, aussi, d’agrafer et de suturer solidement la nouvelle architecture digestive. C’est que la connexion entre la minipoche gastrique et l’embout intestinal sera soumise à de sérieuses sollicitations, à des tensions qui risquent de provoquer une rupture, une fistule, en fait, et ses redoutables complications. Les risques de phlébite et d’embolie pulmonaire postopératoires doivent être abordés avec attention : la prescription d’anticoagulants, durant un mois, agira à titre préventif.

En l’occurrence, le geste chirurgical est accompli sans trop de difficultés, ce qui n’est pas toujours le cas. "Lorsque nous avons à intervenir sur une personne souffrant d’une obésité extrême, la masse graisseuse atteint une telle ampleur qu’il devient nettement plus compliqué de trouver ses repères, de se positionner dans l’abdomen, de placer les trocarts dans leur position optimale, de visualiser clairement la situation", souligne le Dr De Roover.

L’intervention touche à son terme. Les trocarts sont retirés. Un sifflement se fait entendre : le C02 s’échappe de la cavité abdominale. L’index posé sur l’une ou l’autre ouverture, le chirurgien bloque momentanément l’expulsion gazeuse. Puis relâche. Le ventre se dégonfle. Le premier indice d’une perte de poids massive.

Des résultats spectaculaires

Avec le bypass gastrique, la chirurgie de l’obésité (ou chirurgie bariatrique) connaît sa troisième évolution marquante, après l’agrafage et l’anneau. Dans tous les cas, l’intention consiste à diminuer considérablement l’absorption des aliments par l’organisme. État des lieux avec le Dr Arnaud De Roover.

À quelle perte de poids doit-on s’attendre avec le bypass ?

"Les statistiques établies au CHU de Liège indiquent qu’en moyenne, à peu près tous les patients maigrissent de dix à douze kilos durant le premier mois. À plus long terme, près de 70 % du poids excédentaire aura été perdu à une échéance d’un an après l’intervention. Les résultats varient en fonction de l’âge et s’établissent à 73 % pour les patients âgés de moins de 40 ans, contre 59 % au-delà de 55 ans."

Et les risques ?

"Il y a d’abord ceux inhérents à toute intervention chirurgicale. Ensuite, sur le plan postopératoire, les saignements, les fistules, les embolies pulmonaires ou encore les phlébites sont à prendre en considération. Au CHU, où 80 % des patients ont quitté l’hôpital au jour 3, nous n’avons pas eu à déplorer de décès ou de complications graves liées au bypass. Mais le risque zéro n’existe pas. Ce qui est clair, c’est que le bénéfice de cette chirurgie sur les pathologies connexes est considérable, que l’on parle de diabète de type II, d’hypertension, d’apnée du sommeil ou d’hypercholestérolémie."

Les effets indésirables à terme ?

"Le patient doit apprendre, et nous l’y aidons, à adapter son alimentation à cette nouvelle structure digestive. Chacun réagit différemment. Nous savons que, de manière générale, l’absorption de sucres rapides peut provoquer le fameux dumping syndrome, qui se traduit par des nausées, des douleurs abdominales, de la diarrhée… Le risque de malaises est également présent. Une discipline personnelle s’impose, c’est indéniable. D’autant que la faculté d’adaptation de l’organisme est telle que, si l’on n’y fait pas suffisamment attention, tout est possible : reprendre le poids perdu comme… ne pas perdre un gramme. C’est rarissime, mais cela s’est vu."

Qui peut être candidat à cette intervention ?

"Si l’on se base sur les conditions de remboursement, elle s’adresse aux personnes affichant un IMC supérieur à 40, ou supérieur à 35 lorsqu’elles présentent dans le même temps un diabète de type II. Elles doivent avoir suivi au préalable, et sans succès, un régime alimentaire strict, mais aussi avoir été prises en charge dans le cadre d’une consultation multidisciplinaire."

Ces critères vous semblent-ils trop restrictifs ?

"Nous demandons qu’ils soient élargis. Du reste, un projet d’arrêté royal - dont nous attendons la finalisation - vise à admettre au remboursement les patients avec un IMC supérieur à 35, souffrant d’hypertension artérielle médiquée ou d’apnées du sommeil sévères. À mon sens, il faudrait aller encore plus loin."

Avez-vous établi un profil type, en fonction de l’âge, du poids… ?

"Toujours au CHU de Liège, et pour les interventions par laparoscopie, c’est-à-dire sans ouvrir la paroi abdominale, l’âge moyen est de 41 ans, avec des extrêmes établis à 18 ans - le minimum légal - et 70 ans. Le poids moyen des patients est de 122 kilos, dans une fourchette de 81 à 257 kilos. Quant au IMC moyen, il est de 43. Enfin, la proportion hommes-femmes tourne autour d’un tiers-deux tiers."

Combien le patient doit-il débourser ?

"Le taux de remboursement laisse un millier d’euros à sa charge, un montant qui couvre une partie des frais matériels."

Pratiquez-vous ce type d’interventions sur base de demandes à caractère purement esthétique, dans le but d’éliminer quelques rondeurs ?

"En ce qui nous concerne, certainement pas. L’indication reste exclusivement thérapeutique. D’ailleurs, toute une équipe intervient lors de la phase préalable à l’opération : le chirurgien, bien sûr, tout comme l’endocrinologue, le diététicien, le psychologue ou encore, si nécessaire, le cardiologue ou le pneumologue. Ceci explique du reste le délai relativement long qui sépare le premier contact et l’entrée en salle d’op."

Le bypass ne manifeste pas qu’une action mécanique, par réduction de l’apport alimentaire. Que provoque-t-il d’autre ?

"En fait, il semblerait que cette technique induit des modifications hormonales, qui contribuent à la baisse de l’appétit."

Dans quelle mesure la perte de poids rapide et spectaculaire crée-t-elle des problèmes esthétiques ultérieurs, notamment liés à une peau distendue ?

"C’est une réalité, encore qu’il n’y ait pas autant de dommages majeurs que ce que l’on pourrait penser. Mais il convient effectivement d’envisager cette évolution."

Témoignage : Éric, à fond l’optimisme !

Il n’y a pas à dire : il est en forme, Éric Flurkin ! Âgé de 46 ans, cet habitant d’Ougrée, dans la région liégeoise, n’est pourtant remonté dans sa chambre que la veille, sur le coup de 19 h 30, après avoir subi un bypass gastrique. Ce matin, il est déjà debout.

"J’ai effectué quelques pas dès hier soir, vous savez, sourit-il. Agent de sécurité, il a dû arrêter de travailler voici quatre ans en raison de sérieux problèmes liés à un sévère syndrome d’apnées du sommeil. En surpoids et présentant “un peu” de diabète de type II, il s’est tourné vers la chirurgie avant tout pour pouvoir… reprendre le boulot.

La perte de poids, un objectif en tant que tel, devrait agir positivement sur ses apnées, qu’il ne peut actuellement soulager qu’à l’aide d’un appareil de ventilation, par lequel il respire la nuit (et occasionnellement en journée) via un masque. "On m’a proposé une opération consistant à avancer la mâchoire, ce qui aurait pu m’aider. Mais j’ai préféré tenter celle-ci", poursuit Éric.

En tout cas, il envisage la suite des événements avec optimisme. "Je ne suis pas un gros mangeur, mais j’aime tout. C’est ma seule interrogation : est-ce que je devrai ou non me priver de l’un ou l’autre type d’aliments ? Pour le reste, comme vous le voyez, je me sens parfaitement bien et je sais que cela ne pourra aller que de mieux en mieux !"

auteur : Juan Miralles - journaliste santé

Dernière mise à jour: janvier 2024
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