Hernie discale : l'opération en direct

dossier Les gestes sont précis, les instructions aussi effilées que la lame d’un bistouri. 9 h 30. Quartier opératoire des Cliniques universitaires Saint-Luc. Salle 20. Température : 20,6ºC. Taux d’humidité : 28,7%. Des paramètres constants. Les yeux rivés à un microscope, le Pr Christian Raftopoulos, chef du service de neurochirurgie, intervient sur une hernie discale lombaire.

Une récidive, en fait. La patiente, âgée d’une quarantaine d’années, est couchée sur le ventre, en position recroquevillée, bras tendus. Opérée voici quelques mois, le mal a ressurgi entre les vertèbres L5 et S1, dans le bas du dos. La douleur, qui s’exprimait initialement du côté droit, a migré vers la jambe gauche, en se manifestant par une vive sciatique.

Plusieurs écrans, placés en divers endroits de la salle d’op, diffusent les images captées par le microscope. Un assistant seconde le Pr Raftopoulos, alors qu’une infirmière gère avec dextérité deux larges plateaux couverts d’instruments. Quand le chirurgien demande – sans s’encombrer de fioritures - pince X main gauche, pas question de se hasarder à proposer une pince Y main droite. L’anesthésiste, en retrait de la cible opératoire, occupe évidemment un rôle fondamental. C’est rôdé, c’est professionnel, c’est fascinant.

Une petite incision


L’incision permettant d’accéder à la hernie n’est guère impressionnante. L’évolution des techniques permet aujourd’hui de procéder par microchirurgie, qui présente d’énormes avantages pour le patient par rapport aux larges ouvertures d’antan (douleur postopératoire largement atténuée, processus de cicatrisation beaucoup mieux maîtrisé, récupération plus rapide…).

L’imagerie médicale – la résonance magnétique définit l’atteinte avec une grande précision–, le recours au microscope ainsi qu’à des instruments chirurgicaux savamment calibrés, accorde au praticien des moyens d’action optimaux. En l’occurrence, l’intervention s’avère assez délicate. "Dans les cas les plus simples, on retire la hernie comme s’il s’agissait d’une cerise posée sur une assiette", explique le Pr Raftopoulos, tout en manipulant ses instruments glissés vers l’espace intervertébral. "Vous pourriez même le faire à ma place", s’amuse-t-il. Ici, la situation est plus complexe, dans la mesure où on a l’impression que tout colle à tout.

Penser clair, agir clair

Des morceaux, de taille variable, sont méticuleusement extirpés. Certains sont placés dans du formol, à destination du département d’anatomopathologie, qui se consacre à l’étude des tissus lésés. L’objectif consiste, bien entendu, à extraire la hernie, si possible dans sa totalité, afin de libérer le nerf comprimé, mais aussi à prévenir une nouvelle récidive, poursuit Christian Raftopoulos. Tout en faisant extrêmement attention à ne pas abîmer les racines nerveuses ou à éviter la fuite de liquide céphalo-rachidien (LCR), dans lequel baigne la moelle épinière dont il assure en quelque sorte la protection.

Ne pas relâcher le rythme


Chaque intervention est source de stress, encore qu’à des degrés divers selon la difficulté. La première préoccupation du médecin, même après de longues années d’expérience, tient à la crainte de mal faire, souligne le Pr Raftopoulos. "C’est la raison pour laquelle j’estime indispensable d’opérer souvent, afin de ne pas relâcher le rythme." Et quand on dit souvent, cela recouvre la possibilité d’enchaîner des interventions de 7 h à 20 h ! Pour cela, une excellente forme physique et une inébranlable lucidité intellectuelle sont impératives.

Principe : si l’on pense clair, on agit clair. La moindre erreur, singulièrement en neurochirurgie, risque de se payer très cher. Et la hernie discale a beau être perçue, par d’aucuns, comme une indication relativement banale, elle ne l’est certainement pas en phase chirurgicale. Ceci est particulièrement vrai pour les hernies cervicales (localisées à hauteur de la nuque), lorsqu’un geste imparfait peut engendrer des conséquences catastrophiques.

Aller à l’essentiel

Cet impératif de rigueur est palpable à tout moment, au bloc opératoire comme lors du briefing matinal qui réunit, à l’entrée de l’Unité 72, l’ensemble de l’équipe médicale du service de neurochirurgie.

À 8 h précises, une dizaine de spécialistes, chapeautés par leur patron, se penchent sur les dossiers des patients qui seront opérés durant la journée. Pas de longs discours, mais des faits. Mot d’ordre : aller à l’essentiel, images radiologiques diffusées sur grand écran à l’appui. En gardant toujours à l’esprit qu’au-delà, ou plutôt bien avant les litanies d’un dossier médical, c’est de patients que l’on parle, avec leurs spécificités, leurs souffrances et leurs espoirs.

À 8 h 20, la séance est clôturée. Les uns descendent au bloc, les autres se dirigent vers les chambres (le bip d’urgence est attribué à l’un des médecins qui n’opèrent pas aujourd’hui).

L’un des éléments les plus remarquables, et sans doute les plus méconnus, concerne la longue préparation du patient avant l’intervention proprement dite. Entre le moment où il pénètre en salle d’op et l’activation du bistouri, la mise en place suit une procédure méticuleuse. C’est ainsi le cas pour cette patiente – allongée sur le dos cette fois – souffrant d’une hernie discale cervicale, la seconde à passer ce matin entre les mains du Pr Raftopoulos.

Une hernie placée à un niveau inhabituel (entre les vertèbres C7 et D1, donc bas dans la nuque), ce qui complique sérieusement les choses. D’autant que les hernies cervicales ne sont pas abordées par l’arrière du cou, mais par l’avant, c’est-à-dire par une incision dans la gorge. Cela peut paraître curieux, mais il s’agit de la voie d’accès la plus directe, note Christian Raftopoulos.

Le petit doigt magique

Un système de traction de la tête vers l’arrière – avec pose d’un arc de cercle métallique vissé au crâne – et des bras vers l’avant s’avère nécessaire pour faciliter la tâche du chirurgien, pour lui permettre d’accéder dans de bonnes conditions à la zone affectée. L’un dans l’autre, ultimes radiographies comprises et réalisées avec un appareil mobile, suivies par la pose du champ opératoire stérile, cela a quand même pris une heure. Une durée équivalente, en fait, à l’opération elle-même. Toujours est-il qu’approcher une hernie discale, cela se mérite. Une série d’obstacles doivent être écartés, comme, pour ce qui concerne la hernie cervicale, la jugulaire, l’œsophage, la trachée ou encore le nerf vague. Saisissant.
Mais pas autant que le premier contact physique du chirurgien avec la colonne vertébrale, qu’il tâte avec… le petit doigt de la main, bien enfoncé dans la gorge. On dit que l’auriculaire ne sert pas à grand-chose, eh! bien vous constatez qu’il est en tout cas utile en neurochirurgie, sourit Christian Raftopoulos derrière son masque. Un prof en tenue chirurgicale classique, à l’un ou l’autre détail près. D’abord, il met deux paires de gants, au cas où celle du dessus viendrait à se déchirer. Ensuite (et nettement moins crucial, d’accord), il arbore toujours un bonnet blanc, souvenir de l’époque où il portait les cheveux longs. Autre singularité: quand il est à l’hôpital, c’est une vieille habitude, il ne mange pas à midi.

À l’instar des vingt-deux salles qui composent le quartier opératoire (qui affiche un taux d’occupation maximal), la 20 dispose d’un système sophistiqué de renouvellement complet d’air (dix fois par heure) et de réglage de la pression atmosphérique; des dispositifs destinés à prévenir la contamination du site par des germes infectieux. Ceci explique que la pièce ne soit pas hermétiquement close, puisqu’il est possible d’y accéder même en cours d’intervention. Une opération qui touche à sa fin. La patiente sera transférée en salle de réveil, où elle restera en observation durant un peu moins de deux heures, sauf incident. Et dans trois ou quatre jours, elle pourra rentrer chez elle. Je dis toujours à mes patients que j’ai fait 50% du boulot, ajoute le Pr Raftopoulos. Ensuite, c’est à eux d’effectuer le reste du chemin, en observant des règles simples permettant de reprendre une existence normale, et d’éviter autant que possible la rechute.

Acte I terminé.
l à 8h précises, l’équipe médicale du service de neurochirurgie tient sa réunion quotidienne (à gauche). L’occasion, d’aborder les dossiers médicaux des patients qui seront opérés durant la journée. Les interventions sur les hernies discales font appel à des techniques pointues de microchirurgie.
Les yeux rivés au microscope, le Pr Raftopoulos intervient au travers d’une petite incision, dans laquelle est inséré le tube qui permet l’accès des instruments à la hernie.

Dans les cas les plus simples, une hernie discale se retire comme une cerise. La situation est plus complexe ici, où tout colle à tout. Des écrans, situés aux quatre coins de la salle d’op, diffusent en direct les images saisies à travers le microscope.
L’intervention sur la hernie discale cervicale passe par… la gorge. Un appareil mobile permet de faire des radios de dernière minute en salle d’op, juste avant d’opérer.
Accéder à une hernie discale, cela se mérite: une série d’obstacles doivent être franchis avant d’atteindre sa cible.

C'est quoi, une hernie?

Nous avons tous entendu parler de la hernie discale, et encore très récemment à la suite de la mésaventure dont a été victime Johnny Hallyday. Mais que recouvre cette pathologie? Le terme hernie traduit en fait la saillie d’un organe ou d’une partie de celui-ci, hors de son site naturel. En l’occurrence, elle est qualifiée de discale dans la mesure où elle concerne une portion du disque intervertébral. La colonne vertébrale est formée par un empilement d’os, appelés vertèbres, entre lesquels s’intercalent les disques intervertébraux. Ceux-ci jouent un rôle d’amortisseur de chocs et assurent la souplesse de la colonne. Le disque est composé de deux parties: un noyau pulpeux, entouré d’un anneau fibreux. La hernie survient lorsque l’anneau se rompt, entraînant une sortie du noyau.

Les causes de cette déchirure sont souvent à rechercher dans une dégénérescence du disque, sanctionnée par une action brusque dans une mauvaise posture (comme soulever une lourde charge en position de torsion du tronc). La grossesse et l’obésité augmentant à leur tour les tensions sur la colonne vertébrale. Il faut savoir que l’empilement des vertèbres forme, en son intérieur, un tunnel dans lequel passe la moelle épinière, qui transmet les informations du cerveau vers le reste du corps. Des racines nerveuses sortent de la moelle pour diriger l’info vers les parties les plus éloignées de notre organisme. Il en va ainsi, notamment, du nerf sciatique. Or, lorsque le noyau du disque fait saillie, il risque de comprimer l’une des racines nerveuses, déclenchant une vive douleur sur le trajet du nerf atteint. C’est l’origine de la sciatique. Mais au-delà, cette compression nerveuse peut être associée à des raideurs, des fourmillements, des engourdissements, une grande faiblesse voire à une paralysie des bras ou des jambes. Des douleurs au dos (lombaires) ou à la nuque (cervicales), d’intensité variable, se manifestent fréquemment.

Selon les estimations, une personne sur cinquante sera un jour ou l’autre affectée par une hernie discale, sachant qu’une partie ne la ressent pas, dans la mesure où le nerf n’est pas comprimé. En règle générale, les hernies guérissent en l’espace de quelques semaines et n’appellent pas de soins lourds (le repos – mais pas l’immobilité! – est indiqué et sera soutenu le cas échéant par des médicaments). La chirurgie sera envisagée dans les situations les plus sérieuses, résistantes aux traitements de base. L’intervention permet d’éliminer la pression exercée sur les racines nerveuses, par discectomie (ablation partielle ou complète du disque) avec, si nécessaire, une laminectomie (résection d’une partie de la vertèbre).

Des progrès spectaculaires

Âgé de 51 ans, chef du service de neurochirurgie des Cliniques universitaires Saint-Luc (Bruxelles) depuis une quinzaine d’années, Christian Raftopoulos explique ne jamais s’être lassé d’intervenir sur des hernies discales, considérant les très belles évolutions dont bénéficie cette chirurgie, qu’il qualifie de particulièrement élégante. Mais au-delà de la technique, il y a le travail d’équipe, fondamental à ses yeux, qu’il s’agisse de l’encadrement médical ou infirmier. Et le respect du patient, avec lequel il est essentiel d’établir une relation de totale transparence. Entretien.

Depuis que vous avez commencé à pratiquer, à quelles grandes avancées avez-vous assisté dans la prise en charge chirurgicale de la hernie discale? L’extraordinaire perfectionnement de l’imagerie médicale, d’abord, et en particulier la résonance magnétique. Elle apporte une aide déterminante au diagnostic et permet de cerner les cibles opératoires avec une grande précision. Les outils chirurgicaux ont également fait l’objet de progrès notables. Je pense notamment au microscope ou aux instruments, bien mieux profilés que par le passé. En ce qui concerne les techniques opératoires, et ce qui précède y contribue largement, nous privilégions l’approche minimale, non invasive, microchirurgicale. Lorsque j’ai débuté dans le courant des années 80, j’étais amené à réaliser de grandes incisions et à opérer à l’œil nu, en écartant beaucoup les tissus.

À présent, nous pratiquons une chirurgie focale, avec les avantages que cela induit pour le patient. L’anesthésie, aussi, a gagné en efficacité.
Sur base de quels critères décidez-vous d’opérer? Hernie discale ne signifie pas d’office intervention chirurgicale, loin de là. L’évolution du déficit moteur, l’ampleur de la douleur, le caractère répétitif de la sciatique… autant d’éléments qui doivent être soigneusement évalués.
La première option passe par une phase de repos, à laquelle trois quarts des patients répondent de manière satisfaisante. D’autres recours peuvent également être envisagés. En tout état de cause, le geste chirurgical, hormis, bien entendu, les situations d’urgence, s’adresse à ceux dont l’état ne s’améliore pas, voire empire malgré ces traitements initiaux. Il est important aussi de mettre en garde les patients contre une attitude attentiste, qui les conduit à attendre trop longtemps avant de consulter.

L’intervention chirurgicale règle-t-elle le problème une fois pour toutes? Il est rare que les symptômes – singulièrement la douleur – persistent si l’indication a été correctement posée et si le geste chirurgical a été bon. Ceci étant, une récidive n’est jamais à exclure. Le patient doit être conscient du risque, et adopter des comportements permettant de le prévenir.
Qu’en est-il des «malades imaginaires»? Le fait est que le facteur psychologique intervient de manière importante. Les soucis familiaux ou professionnels peuvent conduire à une amplification des plaintes. Il s’agit de toujours évaluer avec soin le profil du patient, et le cas échéant de l’interroger sur l’existence d’éventuels problèmes personnels.

Les personnes qui souffrent d’une hernie discale sont souvent incapables de lui attribuer une cause précise. Comment l’expliquez-vous? En fait, la hernie est souvent le fruit de microtraumatismes à répétition, qui affectent le disque intervertébral et conduisent à la rupture de son anneau fibreux. C’est donc la multiplication des contraintes qui affaiblit le disque et expose à la hernie. Ceci étant, dans bien des cas, le patient évoque l’un ou l’autre épisode d’effort inhabituel qui lui apparaît lié au déclenchement de son problème.

Qui est le plus compétent pour traiter une hernie discale: le neurochirurgienou l’orthopédiste?
La pathologie recouvre les deux spécialités. Disons que le neurochirurgien est par nature plus indiqué pour prendre en charge les troubles affectant le système nerveux central. Ceci étant, un orthopédiste de qualité fera bien les choses.
Le Pr Christian Raftopoulos, chef du service de neurochirurgie des Cliniques universitaires Saint-Luc, insiste sur la relation de totale transparence qui doit s’établir avec le patient.

Geneviève: deux opèrations en un an

L’intervention était programmée vers 15 h, mais elle commencera avec un peu de retard. Ce qui ne stresse pas outre mesure Geneviève, infirmière dans un hôpital de la province du Luxembourg, sa région de résidence. De plus, une opération pour une hernie discale, elle connaît, puisqu’elle en avait subi une première voici un an. J’avais été admise en urgence et tout s’est parfaitement déroulé, se souvient-elle. Si ce n’est que dix jours après l’intervention, alors qu’elle était rentrée chez elle, une violente douleur lui a cisaillé le bas du dos après s’être retournée dans son lit, pourtant sans effectuer de mouvement brusque.

Verdict, confirmé par la résonance magnétique: récidive de hernie discale lombaire au niveau des vertèbres L4 et L5. Traitement: six semaines de repos, suivies d’une rééducation de deux bons mois. Tout semble alors évoluer favorablement. Je me sentais bien et j’ai d’ailleurs repris le travail, poursuit Geneviève. En septembre dernier, la douleur recommence à faire parler d’elle. La patiente n’a pas vraiment mal au dos, ne présente pas de signes moteurs alarmants, mais souffre par contre d’une sciatique extrêmement vive à la jambe gauche. Malgré tout, elle ne veut pas se mettre en retrait de son activité professionnelle. Elle essaie de gérer le mal à coup d’anti-inflammatoires et d’antidouleurs puissants. Peine perdue.

Les médecins qui l’ont prise en charge durant ces interminables mois refusent de l’opérer à nouveau, arguant que ça va passer. À défaut d’autres manifestations que la douleur, ils ne considèrent pas opportun d’intervenir. En désespoir de cause, Geneviève se tourne vers le Pr Raftopoulos, qui décide de la recevoir dans les plus brefs délais et de l’opérer quasi immédiatement. Il a perçu ma souffrance, c’est quelqu’un de très humain, souligne Geneviève. J’ai conscience que la douleur ne disparaîtra peut-être pas complètement, mais je suis convaincue qu’elle sera considérablement atténuée. Et d’exprimer un vœu, que l’on partagera: il faudrait que l’école, pourquoi pas dans le cadre du cours de gymnastique, enseigne à nos enfants les bonnes habitudes qui leur permettront de préserver leur dos. Ce sont des conseils simples, faciles à intégrer et qui leur rendront d’immenses services.
Geneviève peu avant son opération. Elle espère que, cette fois, son problème sera définitivement réglé.

auteur : Juan Miralles - journaliste santé

Dernière mise à jour: janvier 2024

Vous voulez recevoir nos articles dans votre boîte e-mail ?

Inscrivez-vous ici à notre newsletter.

vous pourrez vous désinscrire quand vous le souhaiterez
Nous traitons vos données personnelles conformément à la politique de confidentialité de Roularta Media Group NV.
volgopfacebook

volgopinstagram